Cultures Contextes

Ces derniers jours, la destruction de l’ancien site assyrien de Nimrud par ISIS a suscité un tollé mondial. Au cours des dernières années, de nombreuses antiquités inestimables et des sites irremplaçables du patrimoine mondial ont été victimes des extrémistes islamiques dans des pays comme l’Irak, la Syrie et l’Afghanistan. La justification théologique de ces actes est que ces artefacts sont des idoles qui propagent une fausse religion et séduisent les fidèles pour qu’ils s’écartent du chemin de la vraie foi.

L’acte le plus spectaculaire a peut-être été la destruction de deux bouddhas géants en Afghanistan par les talibans en 2001. Depuis lors, les extrémistes islamiques ont détruit des antiquités de valeur jusqu’aux atrocités les plus récentes commises par ISIS. Outre l’expulsion des idoles des fausses religions, la destruction sert un deuxième objectif : elle fait partie d’une guerre de propagande dans laquelle ISIS choque le public occidental afin de rester pertinent. La destruction d’antiquités et sa documentation dans des vidéos servent donc de coups de propagande, non sans rappeler les vidéos de décapitation brutales et inhumaines.

Bien qu’il s’agisse d’actes méprisables, le fait que nous, infidèles, trouvions ces actes répréhensibles est en partie la raison pour laquelle ils ont été commis en premier lieu. J’ai décidé de ne pas lier les images afin de ne pas alimenter cet effort de propagande des extrémistes islamiques. La « vidéo de propagande montrant la destruction apparente du musée de Mossoul » soulève également la possibilité que ces récits soient en fait exagérés. Il semble que de nombreux artefacts détruits étaient en fait des répliques en plâtre – ce qui renforce le point sur le coup de propagande.

Il est utile de se rappeler que la tradition chrétienne a eu ses propres moments d’iconoclasme parfois violent – la destruction d’artefacts religieux pour des raisons théologiques. Aux 8e et 9e siècles, l’Empire byzantin a traversé deux périodes d’iconoclasme, par exemple. Mais l’exemple le plus virulent d’iconoclasme chrétien extrémiste est la réforme protestante du 16e siècle, promue par des luthériens comme Andreas Karlstadt et les deux figures fondatrices de l’Église réformée, Huldrych Zwingli et Jean Calvin. Ils considéraient la représentation visuelle du divin comme une forme d’hérésie et ordonnaient la destruction systématique de l’art religieux dans les églises qu’ils contrôlaient.

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Soulagement endommagé de la cathédrale d’Utrecht, profanée en 1566 lors de la fureur iconoclaste aux Pays-Bas. (Wikipédia)

La ferveur iconoclaste protestante était aussi virulente et extrême que l’énergie destructrice déployée par les extrémistes islamiques des temps modernes. Dans la partie zwinglienne de la Suisse, et particulièrement à Zurich, les églises ont été purgées de toutes les images religieuses en 1524. Des œuvres d’art en bois ont été brûlées en public, et des sculptures en pierre endommagées et détruites à l’aide d’outils lourds. Des purges similaires ont lieu dans certaines villes d’Allemagne du Sud au cours des années suivantes. Une vague d’émeutes iconoclastes déferle sur les Pays-Bas en 1566, expression de l’affirmation calviniste contre la domination hispano-catholique.

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Remplacement et brûlage public d’icônes religieuses à Zurich en 1524. (Wikipedia)

Les citoyens étaient incités par des prédicateurs à retirer l’art religieux idolâtre et à le détruire de manière rituelle dans un acte de performance publique qui équivaut à un coup de publicité – un aspect qui se reflète dans de nombreuses images de l’époque. L’art religieux d’avant la Réforme avait été commandé et parrainé par des familles nobles et patriciennes éminentes dont les membres continuaient à s’identifier à cet art. Les réformateurs ont mis en scène ces actes de destruction pour choquer l’establishment bien établi : il s’agissait de détruire ce qui était émotionnellement cher à ses membres. Tout comme la destruction des trésors antiques, l’iconoclasme de l’époque de la Réforme avait un aspect théâtral. La destruction barbare d’antiquités par ISIS n’est donc pas une spécialité islamique, mais plutôt une excroissance d’un fondamentalisme religieux erroné. Les exemples tirés de l’histoire chrétienne illustrent de manière frappante ce point.

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Destruction d’art religieux dans l’église Notre-Dame d’Anvers en 1566, mise en scène comme un acte communautaire. (Wikipedia)

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