Situé dans le hameau de Passy, le château de la Muette fut démembré et vendu par lots par le gouvernement révolutionnaire en 1790. Une partie de son ancien terrain était désormais occupée par le Ranelagh, un jardin d’agrément du nom du lord irlandais qui avait lancé cette mode à Londres. Lorsque Passy est absorbé par Paris en 1860, le terrain devient propriété municipale et le baron Haussmann ordonne de le transformer en jardin, en conservant le nom de Ranelagh. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les terrains donnant sur ce parc de six hectares sont prisés par une clientèle fortunée qui souhaite y construire des hôtels particuliers. L’un d’eux est François Christophe Edmond Kellermann, duc de Valmy. Né en 1835, diplomate, député et homme de lettres, il achète le 4 mai 1863 un terrain situé entre le 20 avenue Raphaël et le 17 boulevard Suchet pour la somme de 137 577 francs. Le contrat de vente stipule l’obligation d’y construire dans les deux ans à venir une habitation bourgeoise d’au moins 600 mètres carrés. Les projets du duc étaient plus ambitieux, et en partie spéculatifs. Sur les trois maisons de ville qu’il souhaite construire, deux se trouvent à l’extrémité du boulevard Suchet. Le premier, d’une superficie de 282 mètres carrés, est vendu le 13 juillet 1866 au peintre Marie Paul Alfred Parent de Curzon, pour 80 000 francs. La seconde, comprenant une maison de ville avec cour, jardin et dépendances, est acquise par un certain M. Lalande pour 70 000 francs le 27 novembre 1866. Kellermann garde pour lui la troisième propriété, 2 020 mètres carrés au 20 avenue Raphaël. On sait peu de choses sur cet hôtel particulier, si ce n’est que le bâtiment principal comporte un sous-sol, un premier étage et un étage supérieur, et qu’il est flanqué de deux pavillons, eux aussi avec des sous-sols mais avec un seul étage supérieur. La propriété disposait d’un jardin à l’anglaise au bout duquel se trouvait, dans l’angle droit, un bâtiment en forme de L avec un angle coupé et comprenant un rez-de-chaussée et un étage et une petite cour intérieure avec des entourages vitrés. Après la mort du duc en 1868, sa femme et sa fille n’ont pas les moyens d’entretenir la propriété et elle est vendue le 7 juin 1882 à Jules Marmottan pour 260 000 francs.
Né à Valenciennes le 26 décembre 1829, Marmottan est issu d’une famille du Quesnoy, dans le nord de la France. Après des études de droit, il travaille un temps chez un agent de change parisien avant d’accepter un poste de directeur des Mines de Bruay en 1870. Il en fait l’une des principales sociétés minières du Pas-de-Calais. Administrateur de plusieurs sociétés françaises d’énergie et de transport, il s’implique également dans leurs activités philanthropiques. En 1879, il est nommé trésorier général de la Gironde. Amateur d’art, Marmottan prend conseil auprès d’Antoine Brasseur, un marchand dont on se souvient qu’il avait fait don de soixante-quatre tableaux de maîtres anciens et d’une importante collection de céramiques au musée d’art de Lille, sa ville natale. Par son intermédiaire, Marmottan acquiert une quarantaine de tableaux d’artistes de la pré-Renaissance originaires d’Italie, des Flandres et d’Allemagne, dont une exceptionnelle et rare Descente de croix de Hans Muelich. Des statuettes en bois polychrome de Malines et des tapisseries représentant la vie des saints Suzanne et Alexandre illustrent également son goût pour l’art médiéval et Renaissance. Acquises auprès d’un marchand installé depuis longtemps à Cologne par un amateur d’art qui partageait sa vie entre Valenciennes et Bordeaux, ces œuvres finiront néanmoins par décorer la résidence Marmottan à Paris. Lorsqu’il meurt à Bordeaux le 10 mars 1883, Jules laisse à son fils unique Paul une importante fortune et, par legs particulier, l’hôtel particulier de l’avenue Raphaël ainsi que ses collections.
Né à Paris le 26 août 1856, Paul Marmottan fait des études de droit à l’université d’Aix. Dès sa sortie, en 1880, il est attaché au cabinet du préfet du Vaucluse et travaille comme avocat stagiaire à la cour d’appel de Paris. Il est nommé conseiller de préfecture de l’Eure en novembre 1882 mais, à la mort de son père, il demande un congé et renonce à sa carrière de haut fonctionnaire. Il s’installe à Paris et épouse en 1885 Gabrielle Rheims. Ils divorcent, sans enfant, en 1894, et la mort en 1904 de Marie Martin, qu’il avait prévu de prendre pour seconde épouse, laisse Marmottan sans héritier et enclin à une existence solitaire. Homme indépendant, il se consacre à l’étude de l’histoire et de l’art de la période 1789-1830. Il devient un auteur prolifique et un spécialiste reconnu de la période du Consulat et de l’Empire, contribuant à réhabiliter son art souvent méconnu. Ses recherches d’historien alimentent ses acquisitions d’amateur d’art qui cherche à imiter son père et à constituer sa propre collection. Paul Marmottan rassemble ses premières acquisitions dans le pavillon, bâtiment qu’il redécore entièrement dans le style Empire. Il y expose les effigies des membres de la famille de l’empereur en marbre de Carrare. Le mobilier soigneusement choisi provient notamment du palais des Tuileries, l’une des résidences de Napoléon, et du Palazzo Reale di Portici à Naples, qui avait été meublé pour la sœur de Napoléon, Caroline, l’épouse du prince Murat. Marmottan a également réuni une collection rare et représentative des « petits maîtres » encore classiques des décennies post-révolutionnaires, dont les paysages ont fait l’objet de son livre L’École française de peinture (1789-1830), publié en 1886. Cet ensemble qui fait autorité a été accroché dans le pavillon au début du XXe siècle. Parmi d’autres toiles, des paysages de Jean Victor Bertin (p. 66), Étienne Joseph Bouhot, Louis Gauffier, Adolphe Eugène Gabriel Roehn et Jacques François Joseph Swebach (dit Swebach-Desfontaines) étaient réunis autour de ses pièces maîtresses : six représentations de résidences impériales peintes vers 1810 par Jean Joseph Xavier Bidauld en collaboration avec Carle Vernet et Louis Léopold Boilly. Marmottan était un spécialiste de Boilly et avait écrit une monographie qui a fait date sur ce peintre. Une trentaine de portraits de l’artiste ont toujours été accrochés dans la maison principale, et ce n’est sûrement pas un hasard si son nom a dû être donné à la rue tracée perpendiculairement à l’avenue Raphaël, le long de l’hôtel particulier du collectionneur, en 1913.
Vers 1910, Paul Marmottan acquiert des terrains mitoyens afin de construire une extension de sa maison. C’est également à cette époque qu’il modifie la partie de l’hôtel particulier présentant la collection de son père afin d’y présenter également ses propres acquisitions. Il réaménage plusieurs salons de la maison principale qu’avant cette intervention, un commentateur (Potin, 1907) avait comparé au cabinet de Chantilly, tant pour l’ancienneté des œuvres que pour la densité de leur accrochage. La chambre à coucher du deuxième étage, l’actuelle salle à manger et les deux salons ronds du premier étage font partie des espaces qui ont été transformés. Le décor a été conçu par Marmottan lui-même, auteur d’un ouvrage qui fait autorité sur Le Style Empire. La rotonde par laquelle les visiteurs entrent maintenant dans le musée servait à l’époque de vestibule et était décorée dans le style Empire avec des niches et des sculptures en marbre. La décoration du salon rond donnant sur le jardin fut confiée à Gaston Cornu, dont l’en-tête le décrit comme un « spécialiste des moulures de toutes sortes et des imitations artistiques polychromes » (Archives Paul Marmottan, Paris, Musée Marmottan Monet). L’artisan a réalisé une série de pilastres à base cannelée, de colonnes ioniques (selon un modèle fourni par Marmottan) et une frise sculptée de griffons et de guirlandes en stuc avec dorure partielle. Dans chacun de ces salons, et dans l’actuelle salle à manger, un soin particulier a été apporté aux portes, celles-ci étant décorées de danseuses antiques et couronnées d’élégantes figures en stuc aux draperies grecques se détachant sur des fonds de couleur unie. Pour meubler ces pièces spacieuses, Paul Marmottan fit un certain nombre d’acquisitions importantes, au premier rang desquelles un lit ayant appartenu à Napoléon Ier, le lustre à musiciens, le bureau portant le cachet de Pierre Antoine Bellangé, le monumental Portrait de la duchesse de Feltre et de ses enfants, et une remarquable « horloge géographique » en porcelaine de Sèvres.
Paul Marmottan pensait que cet hôtel particulier, avec ses salons Empire et sa galerie de tableaux qui rappelait par certains côtés les anciens cabinets de curiosités, faisait partie de ses plus grandes réalisations. Comme Nélie Jacquemart-André avant lui, comme Moïse de Camondo, Marmottan légua sa maison à une institution culturelle afin de la conserver et de l’ouvrir au public, tâche qu’il confia à l’Académie des Beaux-Arts, qui hérita du bâtiment et de ses collections à sa mort le 15 mars 1932.
L’Académie des Beaux-Arts, comme on l’appelle depuis 1803, a été fondée en 1648 sous le nom d’Académie Royale de Peinture pour défendre l’art français. Chargée de l’enseignement et de l’organisation du Salon, elle se consacrait à la préservation de la tradition artistique nationale. Le legs Paul Marmottan a étendu sa mission en faisant d’elle la gardienne d’une partie importante du patrimoine français.
Comme l’une des fondations de l’Académie des Beaux-Arts, le musée Marmottan a ouvert au public le 21 juin 1934. Conformément aux souhaits de son fondateur, les petites pièces ou pièces annexes (cuisines, salles de bains, etc.) disparaissent afin de créer des espaces plus grands et de faciliter la circulation des visiteurs. Outre cette adaptation physique, d’autres changements attendent le musée car l’aura de l’Académie des Beaux-Arts attire de nouveaux dons et legs. Le musée enrichit ses collections et ouvre un nouveau chapitre de son histoire.
L’art de la seconde moitié du XIXe siècle entre au musée Marmottan en 1938. Les dessins donnés par le fils de William Adolphe Bouguereau, l’un des peintres académiques les plus en vue de son époque et membre de l’Institut, et les études léguées par le frère du peintre naturaliste Jules Bastien-Lepage (ancien élève d’Alexandre Cabanel) s’inscrivent bien dans la tradition incarnée par l’Académie des Beaux-Arts et défendue par Marmottan. Mais les donations de Victorine et Eugène Donop de Monchy changent radicalement la donne. Victorine est née le 15 avril 1863, l’année où le duc de Valmy acquiert la parcelle sur laquelle est construit l’hôtel particulier du 20 avenue Raphaël. Avec son mari, elle est l’un des premiers visiteurs du musée Marmottan. Sans enfant, elle décide de lui confier une grande partie de la collection qu’elle a héritée de son père, le médecin Georges de Bellio. La guerre précipite sa décision. Entre 1940 et 1947, Victorine fait plusieurs dons manuels à l’Académie des Beaux-Arts. Ces objets d’art asiatiques, ces peintures et dessins anciens et modernes illustrent l’éclectisme des goûts du médecin. Et si Le Buveur de Frans Hals et Le Fumeur de pipe de Dirck van Baburen avaient toute leur place dans l’ancienne résidence de Paul Marmottan, l’entrée d’Impression, soleil levant et de dix autres toiles impressionnistes marque un tournant majeur. Au moment où le docteur de Bellio s’impose comme l’un des premiers soutiens de Claude Monet et de ses amis, Paul Marmottan et l’Académie des Beaux-Arts les combattent. Dans sa préface à L’École française de peinture (1789-1830), Marmottan condamne sans ambiguïté ses contemporains : » On ne dessine pas, on esquisse ; on ne peint pas, on brosse. C’est la plus grande tendance du jour. . . . Ce relâchement vient surtout de l’extrême ignorance ou de la complaisance des amateurs d’art, qui se plaisent à ne chercher que l’impression » (Marmottan, 1886). De son côté, l’Académie ferme le Salon à ces jeunes peintres après 1870, si bien qu’ils décident d’organiser leurs propres expositions. C’est lors de la première d’entre elles, en 1874, qu’Impression, soleil levant inspire au critique Louis Leroy le terme caustique d’impressionniste. Avec l’entrée au musée de ces onze toiles impressionnistes en 1940, l’Académie reconnaissait enfin la valeur de l’impressionnisme. De plus, elle devenait ainsi propriétaire et gardienne de l’œuvre qui a donné son nom au groupe. L’arrivée des toiles de Monet, Berthe Morisot, Pierre Auguste Renoir, Alfred Sisley, Camille Pissarro et Armand Guillaumin est dûment célébrée. Elles ont constitué la pierre angulaire des collections impressionnistes du musée Marmottan.
Grâce à Michel Monet, la collection impressionniste allait bientôt devenir l’une des grandes richesses du musée. Fils cadet de Claude Monet, et fils unique après la mort de son frère Jean en 1914, il est son unique descendant, héritier de la maison de Giverny et de toutes les œuvres qu’elle contient, à la mort du peintre en 1926. Il reçoit ainsi les peintures et les dessins des maîtres et amis que son père avait collectionnés, dont Eugène Delacroix, Eugène Boudin, Johan Barthold Jongkind, Gustave Caillebotte, Renoir et Morisot. Par-dessus tout, Michel a hérité des œuvres tardives de son père. La plupart d’entre elles faisaient partie d’un ensemble de toiles monumentales représentant des nénuphars. Entre 1914 et 1926, Claude Monet a peint 125 grands panneaux, dont il a fait don d’une sélection à son pays, la France. Monet a refusé que ce don soit révélé de son vivant et ce que nous connaissons aujourd’hui sous le nom des Nymphéas de l’Orangerie n’a été vu par le public qu’en 1927. L’exposition a fait scandale ; la dernière œuvre de Monet est alors entrée dans le purgatoire de l’histoire de l’art. Michel, qui possède la plus grande partie de ce qui reste de ce grand ensemble, se retrouve propriétaire d’un patrimoine dénigré. Ses efforts pour réhabiliter les grands Nymphéas ont peu d’impact en France, et les musées nationaux n’achètent aucune des œuvres qu’il met sur le marché. C’est l’une des raisons pour lesquelles il a décidé de ne pas léguer sa collection à l’État. Sans enfant, Michel a fait du Musée Marmottan son légataire universel. À sa mort, en 1966, plus d’une centaine de Monet, dont un ensemble unique de Nymphéas de grand format, sont venus enrichir la collection de l’institution. Les salons de l’hôtel particulier de Paul Marmottan étant trop petits pour exposer des œuvres d’une telle ampleur, une nouvelle salle est spécialement conçue sous le jardin. En 1970, ces toiles, dont la plupart n’avaient jamais été montrées, sont exposées. Elles constituent la plus grande collection au monde d’œuvres de Claude Monet. La maison de Paul Marmottan s’était agrandie et était désormais aussi la maison du père de l’impressionnisme. Le musée devint connu sous le nom de Musée Marmottan Monet.
Plusieurs autres descendants d’artistes suivirent l’exemple de Michel Monet. En 1985, Nelly Sergeant-Duhem, fille adoptive du peintre post-impressionniste Henri Duhem, fait don au musée d’un grand nombre d’œuvres, dont Se promener à Argenteuil de Monet et Bouquet de fleurs de Paul Gauguin.
De même, la famille Rouart a légué au musée la première collection mondiale d’œuvres de leur aïeule, Berthe Morisot. Installée dans le 16e arrondissement depuis 1852, la famille connaissait bien le musée Marmottan. Berthe Morisot et son mari, Eugène Manet, s’installent dans la maison familiale près de l’Étoile en 1883, année où Paul Marmottan s’installe avenue Raphaël. Leur fille Julie et son mari Ernest Rouart, leur nièce Jeannie Gobillard et son mari Paul Valéry, habitent ensuite la maison, ainsi que plusieurs de leurs enfants. C’est en voisins que M. et Mme Ernest Rouart et Mme Paul Valéry assistent à l’inauguration du musée Marmottan (Le Figaro, 30 juin 1934). Les liens entre le petit-fils de l’artiste, l’historien de l’art Denis Rouart, et Daniel Wildenstein, membre de l’Académie des Beaux-Arts, qui furent les co-auteurs du catalogue raisonné d’Édouard Manet, ont sans doute favorisé ce legs. En 1993, vingt-cinq tableaux de Berthe Morisot et un ensemble unique de gravures, dessins et peintures de Manet, Edgar Degas, Jean- Baptiste Camille Corot et autres reviennent au musée. Les portraits de Julie, Jeannie et sa sœur Paule, croqués dans le bois de Boulogne et dans les intérieurs cossus du 16e arrondissement, étaient tout à fait à leur place lorsqu’ils étaient exposés dans les galeries du musée Marmottan.
De nombreux autres bienfaiteurs ont enrichi le musée depuis sa création. En 1981, Daniel Wildenstein a offert la collection d’enluminures que son père, Georges, avait commencé à constituer à l’âge de seize ans. Entre 1909 et 1930, le marchand avait acquis de nombreuses œuvres de premier ordre aux enchères, dans des galeries et sur le marché Biron à Paris. Issu de collections prestigieuses – celles de Jean Dollfus, Édouard Aynard, Frédéric Engel-Gros – cet ensemble comportait de nombreux chefs-d’œuvre, dont plusieurs pages attribuées à Jean Fouquet, Jean Bourdichon, Jean Perréal ou Giulio Clovio. Achevé par Daniel, l’ensemble a été placé au Musée Marmottan Monet. Les 322 miniatures des écoles française, italienne, flamande et anglaise, datant du Moyen Âge à la Renaissance, constituent l’une des plus belles collections d’enluminures en France. Hôtel particulier de style Empire et grand centre de l’impressionnisme, le musée est également devenu un site primordial pour l’étude des manuscrits anciens.