Rituels

CHARACTÉRISTIQUES DU RITUEL

LES EFFETS DU RITUEL

BIBLIOGRAPHIE

Un rituel est une mise en œuvre structurée, répétitive et symbolique d’une croyance ou d’une valeur culturelle. Les rituels contribuent généralement à renforcer la cohésion sociale, car leur objectif premier est, dans la plupart des cas, d’aligner le système de croyances de l’individu sur celui du groupe. Plus un système de croyance est mis en œuvre par le biais d’un rituel, plus il se renforce ; moins il est mis en œuvre, plus il s’affaiblit. C’est pourquoi les chefs religieux exhortent souvent leurs membres à participer régulièrement – par exemple, à venir à l’église chaque dimanche et au groupe de prière chaque mercredi soir. Si les gens cessent d’y aller, c’est-à-dire s’ils cessent de mettre en œuvre les rituels de la religion, celle-ci aura de moins en moins de sens pour eux. Les rituels sont le plus souvent considérés comme religieux, mais ils peuvent mettre en œuvre des croyances et des valeurs laïques aussi efficacement que des croyances et des valeurs religieuses.

Une idée fausse courante veut que le rituel soit quelque chose qui ne se pratique que dans les cultures « primitives », alors que dans les sociétés dites modernes et développées, les citoyens bénéficiant des lumières de la science mènent des vies rationnelles et déritualisées. Mais les faits suggèrent le contraire. Dans toutes les cultures et à travers l’histoire, toutes les cultures humaines utilisent le rituel comme moyen physique et psychologique pour faire face au mystère et à l’imprévisibilité des royaumes naturels, sociaux et cosmiques. Les rôles culturels du rituel sont innombrables ; ils comprennent l’engendrement de la croyance, le maintien de la vitalité religieuse, la stimulation des échanges économiques, l’amélioration du courage, la guérison et la transformation de la conscience individuelle, souvent dans le but de l’aligner sur les valeurs du groupe ainsi que d’intensifier l’investissement individuel et collectif dans la structure sociale.

CHARACTÉRISTIQUES DU RITUEL

Neuf caractéristiques font partie intégrante de la myriade de rôles du rituel dans la vie culturelle humaine et constituent une sorte d’anatomie du rituel. Elles comprennent :

  1. la nature symbolique des messages du rituel;
  2. son enchâssement dans une matrice cognitive (système de croyances);
  3. les moteurs rituels-répétition rythmique et redondance;
  4. l’utilisation d’outils, de technologies et de vêtements spécifiques;
  5. le cadrage des performances rituelles-leur mise à l’écart de la vie quotidienne ;
  6. l’ordre et la formalité;
  7. le sentiment d’inviolabilité et d’inévitabilité qui s’établit lors des performances rituelles;
  8. le jeu d’acteur, la stylisation et la mise en scène qui donnent souvent au rituel ses éléments de grand drame, et le fait qu’il soit exécuté ; et
  9. souvent, une dimension ludique-l’inclusion du jeu dans le cadre rituel.

Symbolisme Le rituel envoie ses messages par le biais de symboles. Un symbole, le plus simplement du monde, est un objet, une idée ou une action chargée d’une signification culturelle. Les symboles sont multivocaux, c’est-à-dire que de nombreuses significations peuvent être réunies et exprimées dans un seul symbole (par exemple, une croix, un drapeau américain, une croix gammée). Contrairement aux symboles, les messages verbaux simples sont analysés intellectuellement par l’hémisphère gauche du cerveau humain, ce qui permet au destinataire d’accepter ou de rejeter leur contenu. Les symboles, en revanche, sont reçus par l’hémisphère droit du cerveau sous forme de gestalt, c’est-à-dire qu’ils sont ressentis par le corps et les émotions ; leur signification est souvent intériorisée sans conscience. Les objets ou les procédures peuvent fonctionner puissamment comme des symboles même si l’intention consciente de leurs exécutants est instrumentale et non symbolique. Par exemple, un brassard de tensiomètre enregistre la pression sanguine et symbolise la médecine technocratique occidentale, en particulier la valeur qu’elle accorde aux informations objectives ; le stéthoscope qu’un médecin porte autour du cou lui permet d’écouter la respiration d’un patient et symbolise son statut d’autorité. Lorsqu’un stagiaire des Marines est tenu de dormir avec son fusil, il « in-corpore » ses significations symboliques – elles deviennent une partie de sa psyché à travers son corps.

Parce que le rituel fonctionne à travers des symboles, le processus rituel est fondamentalement expérientiel, et l’apprentissage qui a lieu à travers le rituel est expérientiel. Les recherches anthropologiques sur la différence entre les modes d’apprentissage expérientiel et didactique (enseignement explicite) ont montré que l’apprentissage expérientiel est de loin le type le plus puissant. L’apprentissage didactique peut être rejeté intellectuellement ou facilement oublié, mais l’apprentissage expérientiel habitue l’individu à des modèles spécifiques de comportement et de réponse, et est beaucoup plus durable. Ce n’est pas un accident culturel si, dans la société contemporaine, comme dans le passé évolutif, les compétences, les métiers et l’artisanat, de la sculpture des outils à la chirurgie oculaire, ont été enseignés de manière expérientielle, par le biais du processus d’apprentissage.

Une matrice cognitive Une matrice (du latin mater, qui signifie « mère »), comme une matrice, est quelque chose à l’intérieur duquel quelque chose d’autre émerge. Les rituels ne sont pas arbitraires, ils proviennent du système de croyances d’un groupe. Chaque message symbolique qu’un rituel donné envoie manifeste une croyance ou une valeur culturelle sous-jacente intégrée dans cette matrice cognitive. Parfois, ces croyances sont explicitées dans le rituel, mais bien souvent, ces croyances profondes que le rituel exprime sont entretenues inconsciemment, plutôt que consciemment. Le but premier du rituel est de mettre en œuvre symboliquement et ainsi de transmettre le système de croyances d’un groupe dans la psyché de ses participants, en alignant leurs croyances et valeurs individuelles sur celles du groupe.

Parce que le système de croyances d’une culture est mis en œuvre par le biais du rituel, l’analyse du rituel peut conduire directement à une compréhension profonde de ce système de croyances. Pour cette raison, les anthropologues qui étudient diverses cultures se sont souvent concentrés sur l’interprétation des rituels de cette culture comme un moyen principal d’acquérir une compréhension profonde de celle-ci. Dans « Baseball Magic » (2000), George Gmelch décode les rituels des joueurs de baseball pour révéler leurs tensions, leurs angoisses et leur système de valeurs. De même, l’analyse de W. Lloyd Warner (1959) du Memorial Day,  » An American Sacred Ceremony « , montre comment les Américains utilisent les rituels de cette journée pour célébrer l’unité de la nation face à sa diversité, ce qui fournit des indications importantes sur la vie américaine.

Les moteurs du rituel : La répétition et la redondance Pour une efficacité maximale, un rituel se concentrera sur l’envoi d’un seul ensemble de messages de base, qu’il répétera de manière rythmée, encore et encore, sous différentes formes. Ce qui est répété dans un rituel peut inclure : (1) l’occasion de son exécution (comme dans une cérémonie qui se déroule chaque année à la même époque) ; (2) son contenu (comme dans un chant) ; (3) la forme dans laquelle ce contenu est structuré (comme dans une cérémonie religieuse) ; ou toute combinaison de ces éléments. Cette redondance renforce l’efficacité du rituel à communiquer les messages, quels qu’ils soient ; le paysan maya qui entend le chaman chanter les noms des dieux vingt fois en une heure, plusieurs fois par jour, ne risque pas de les oublier.

La rythmicité est reconnue depuis longtemps par les anthropologues comme une caractéristique essentielle du rituel. Les stimuli rythmiques et répétitifs affectent le système nerveux central humain, générant (surtout dans des contextes sûrs et détendus) un haut degré d’éveil limbique, coordonnant les processus émotionnels, cognitifs et moteurs chez un individu, et synchronisant ces processus entre les différents participants au rituel. Ce processus d’entraînement peut être vécu comme une perte de conscience de soi, un sentiment de flux. L’entraînement rituel peut conduire à un lien transpersonnel, à un sentiment d’unité et d’unicité du groupe. C’est une expérience courante lors des concerts de rock – lorsque le public commence à s’entraîner aux rythmes de la musique, l’immense auditorium semble soudain rétrécir et être imprégné d’une énergie partagée ; les individus se sentent comme des parties organiques d’un tout palpitant. Mickey Hart, le batteur du groupe de rock The Grateful Dead, a dit de ce processus :  » Parfois, j’avais l’impression que nous devenions un gros animal bruyant qui faisait de la musique quand il respirait  » (Hart, Stevens et Lieberman 1990, p. 144).

Utilisation des outils, des technologies et des vêtements Tous les rituels utilisent des outils et des technologies spécifiques pour atteindre leurs objectifs : les autels et les bougies, le tambour et le hochet du chaman, les robes et la coupe de communion du prêtre, les feuilles de thé et les cartes de tarot du devin, le cadeau de Noël emballé. Du hogan navajo à l’Internet, les technologies rituelles construisent les espaces dans lesquels le rituel se déroule et contribuent à opérer les transformations externes et internes qu’il permet. Comme indiqué plus haut, les technologies du rituel remplissent souvent des fonctions à la fois utilitaires et symboliques. La bougie éclaire et ouvre la porte entre les dimensions ; la coupe de communion contient du liquide et évoque la Cène. Dans les rituels de guérison, le guérisseur perçoit souvent le patient par le biais de la technologie (herbes, purification, cliquetis, peinture sur sable dans les cultures traditionnelles ; radiographies, enregistrements EEG, moniteurs de signes vitaux dans les hôpitaux modernes). Comme dans une grande partie de la vie sociale quotidienne, les humains médiatisent leur expérience par le biais des technologies qu’ils créent. Cette médiation technologique influence nos perceptions de la réalité de multiples façons. Les technologies employées dans les rituels jouent un rôle particulièrement important dans la modification et la médiation de la perception et de l’expérience, car leur utilisation dans les structures exacerbées, mises à part et formalisées des rituels les rend particulièrement efficaces pour entraîner les neurones des participants, en face ou à distance, aux rythmes du rituel et aux messages symboliques qu’il transmet. La production, la vente et l’échange d’artefacts rituels servent de moteurs économiques majeurs dans toutes les sociétés (Malinowski 1948).

Cadrage Les rituels sont encadrés, mis à part de la vie quotidienne, souvent dans des espaces réservés uniquement à leur exécution tels que les églises, les temples, les théâtres, les stades de sport, ou simplement l’espace devant l’autel d’une maison. Ce cadrage rituel fonctionne pour garantir que les participants garderont leur attention concentrée sur un champ de stimulus limité, facilitant leur entraînement avec les messages symboliques du rituel.

Ordre et formalité Dans les événements rituels, les choses ne sont plus désinvoltes, mais précises. L’ordre compte, et le sentiment est formel. Les participants doivent prêter une attention particulière aux mouvements du corps pour s’assurer qu’ils se comportent de manière appropriée, comme à l’église ou lors d’un dîner officiel. L’ordre et la formalité – le séquençage minutieux des performances rituelles – renforcent la force de ce champ de stimulation et contribuent davantage à distinguer les rituels des autres modes d’interaction sociale.

Inviolabilité et inévitabilité Les rituels établissent une atmosphère qui semble à la fois inévitable et inviolable – le rituel doit se dérouler jusqu’à sa conclusion selon une séquence d’événements préétablie. Les Américains auraient du mal à s’imaginer, par exemple, arrêter une cérémonie de remise de diplômes, interrompre le Serment d’allégeance ou se lever au milieu d’un service religieux pour discuter avec le ministre. L’exécution précise d’un rituel donne aux humains le sentiment de mettre en marche des engrenages cosmiques – un processus inviolable qui propulsera inévitablement l’individu à travers le danger jusqu’à la sécurité. Ainsi, le rituel renforce le courage. Les anthropologues Sally Falk Moore et Barbara Myerhoff (1977) ont suggéré que l’insistance du rituel sur la répétition et l’ordre évoque les processus perpétuels du cosmos, impliquant ainsi métaphoriquement que le système de croyance mis en œuvre a la même permanence et la même légitimité que le cosmos lui-même.

Performance : Le jeu d’acteur, la stylisation et la mise en scène Comme une pièce de théâtre, le rituel est exécuté, ce qui lui confère souvent un élément de haute dramaturgie. Plus le rituel est dramatique, plus il engage efficacement les émotions. Ces qualités permettent au rituel d’attirer l’attention des participants et du public, tout en servant à détourner les questions et la présentation de points de vue alternatifs. Une grande partie de la tâche du rituel est d’imprégner les participants d’un sens aigu de la valeur, de la validité et de l’importance du système de croyances mis en œuvre ; ce faisant, le rituel doit également s’efforcer d’empêcher toute remise en question de ce système de croyances. Ceux qui manipulent et contrôlent les rituels sont de puissants interprètes, des chamans traditionnels à Jerry Falwell et Adolf Hitler. Les experts en rituels ont à la fois une maîtrise totale du système de croyances qu’ils mettent en scène et un flair dramatique, souvent charismatique. Leur efficacité repose sur leur capacité à entraîner les groupes, à réorganiser la cognition individuelle divergente autour de la matrice symbolique qu’ils représentent. La capacité d’Hitler à accomplir cela par le biais de rituels était si profonde qu’en quelques années, il a pu restructurer le système cognitif d’une nation entière autour de la matrice symbolique de la domination allemande et de la suprématie aryenne, représentée par un symbole puissant, la svastika. À plus petite échelle, la survie de nombreuses cultures indigènes dépend souvent en grande partie de la capacité de leurs chamans à exécuter de manière spectaculaire et inspirée les rituels qui mettent en œuvre et perpétuent ainsi leurs valeurs culturelles uniques, leurs croyances et leur sentiment d’appartenance à un lieu. Lorsque les chamans meurent sans avoir transmis ce savoir culturel à des apprentis capables de le perpétuer, la culture est bien partie pour disparaître, ou du moins pour être profondément altérée.

Une dimension ludique En dépit de sa formalité sérieuse, le rituel a souvent une dimension intensément ludique (enjouée). Dans certaines cultures, comme celle des Apaches Mescalero du Nouveau-Mexique décrite par l’anthropologue Claire R. Farrer (1991), au cours de leurs cérémonies les plus sacrées, un clown imite et se moque des chanteurs lorsqu’ils accomplissent les actes rituels dans la séquence requise, tandis que les participants qui l’observent rient de façon hilare de ses pitreries. Les Mescalero ne pensent pas que leur rire diminue le caractère sacré de l’événement ; au contraire, il l’augmente grâce à l’énergie revitalisante que le rire apporte aux croyances les plus profondes de la culture. Un parallèle peut être trouvé avec le clown de rodéo. Les cavaliers de taureaux de rodéo affichent rituellement les vertus héroïques viriles chères à leur sous-culture ; les clowns, dont la tâche est de détourner les taureaux tout en divertissant le public, se moquent de ces traits virils alors même qu’ils les illustrent eux-mêmes.

Les effets du rituel

Les effets primaires du rituel comprennent :

  1. la transformation cognitive de ses participants qui est le but premier du rituel;
  2. la simplification cognitive que le rituel s’emploie à engendrer chez ses participants en rendant les idées complexes plus simples ou unitaires, ce qui peut générer une accoutumance ;
  3. la stabilisation cognitive que le rituel peut réaliser pour les individus en situation de stress, ce qui peut inclure l’amélioration du courage ;
  4. la préservation du statu quo dans une société donnée ; et
  5. l’efficacité paradoxale du rituel pour faciliter le changement social.

Bien que tous les rituels n’atteignent pas chacun de ces objectifs, ceux-ci font tous partie de la capacité du rituel en tant que forme symbolique. Le rituel est un puissant outil didactique et socialisant. Saisir son fonctionnement interne, c’est avoir le choix de notre réponse aux rituels qui imprègnent notre quotidien, et dont nous n’avons souvent pas conscience.

Transformation cognitive La croyance suit l’émotion. En général, les gens sont beaucoup plus susceptibles de se souvenir des événements, et d’absorber les leçons de ces événements, s’ils portent une charge émotionnelle. Le rituel génère cette charge – il concentre les émotions sur les messages symboliques qu’il présente. Ce processus de focalisation est renforcé par la répétition rythmique des messages du rituel, qui s’intensifient souvent jusqu’à un point culminant. Si le rituel est réussi, la croyance sera générée par le processus de mise en correspondance. Et en raison des émotions associées à cette croyance, ni l’expérience ni la croyance ne seront oubliées.

Par exemple, dans Juan le Chamula (Pozas 1962), un Indien Chamula des hauts plateaux du Chiapas, dans le sud du Mexique, décrit une cérémonie de guérison au cours de laquelle le chaman tente de le guérir de la  » perte de l’âme  » par une cérémonie longue et élaborée. Au point culminant, le chaman tord le cou d’un coq et le tue, et Juan s’exclame : « soudain, je me suis senti libre ! ». (p. 90). Cette expérience de guérison rituelle constituait pour Juan une étape importante de sa réintégration cognitive dans le système culturel qu’il avait quitté des années auparavant et auquel il retournait maintenant. Comme le montre cet exemple, les guérisseurs peuvent utiliser la capacité du rituel à générer des croyances pour transposer leur interprétation de la maladie dans l’esprit et le corps du patient. Lorsque ceux-ci fusionnent, la guérison peut être obtenue, car le corps répond à ce que l’esprit croit désormais.

L’affect émotionnel généré par le rituel peut faire bien plus que générer des croyances. Les humains ont deux sous-systèmes nerveux, le système d’excitation et le système de relaxation. Habituellement, quand l’un se décharge, l’autre est quiescent. Mais leur stimulation répétée peut les amener à se décharger simultanément. Dans des conditions de stress, les sensations ainsi produites sont plus susceptibles d’être celles du calme, du réconfort et du sentiment de contrôle. Dans des conditions sociales et environnementales stables, cette décharge simultanée des deux systèmes nerveux produit une sensation de plaisir intense, presque orgasmique – en fait, les deux sous-systèmes se déchargent simultanément pendant l’orgasme. Cet état extatique se produit lors d’un rituel, lorsque les expériences physiques, émotionnelles et intellectuelles des messages symboliques ne font qu’un. Il peut être très bref, se manifestant par exemple par une chair de poule lorsque le chœur portant des bannières défile dans l’allée le dimanche de Pâques, ou par un frisson dans le dos lorsque vous saluez votre drapeau national lors d’une parade. Il peut se produire une seule fois au cours du rituel, ou se répéter à de nombreux points focaux. Cet état extatique peut aussi être prolongé, comme dans la méditation, la transe ou la danse religieuse. Dans tous les cas, les participants au rituel associent par expérience ces sensations extatiques au système de croyance mis en œuvre dans le rituel. Les groupes chrétiens charismatiques sont remplis du Saint-Esprit ; les danseurs de transe des bushmen !Kung sont remplis de l’énergie bouillonnante qu’ils appellent nlum. La recherche biologique a établi que pendant cet état, des niveaux élevés d’endorphines – des substances chimiques naturelles qui soulagent la douleur et produisent du plaisir – inondent le système nerveux central. Cette expérience d’extase induite rituellement est l’une des expériences les plus puissantes et les plus chargées en émotions que l’homme puisse vivre. Une fois qu’ils ont fait l’expérience de cet état (surtout la version prolongée) au cours d’un rituel, ils sont susceptibles d’en vouloir davantage. Ce désir peut être une puissante incitation à commencer à assister régulièrement aux événements rituels qui peuvent induire et reproduire de manière cohérente ces sentiments.

A travers les moteurs rituels de la répétition rythmique, du style évocateur et de la manipulation précise des symboles et des stimuli sensoriels, les rituels collectifs concentrent les émotions des participants sur l’intensification calculée de leurs messages. Le rituel génère une émotion intense, voire l’extase, chez les humains, et l’émotion intense, à son tour, génère la croyance (d’Aquili, Laughlin, et McManus 1979).

La transformation pour les participants au rituel peut être à la fois mentale et physique. Elle peut être externe aux yeux de la société, et/ou interne dans la psyché du participant. On peut dire qu’une certaine forme de transformation se produit dans tous les types de rituels – même une simple salutation rituelle ouvre un canal de communication auparavant inexistant entre deux individus, ce qui entraîne un entraînement presque immédiat de leurs rythmes corporels. Une transformation profonde se produit chez les participants aux rituels lorsque les messages symboliques du rituel fusionnent avec les émotions et les croyances individuelles, et que toute la structure cognitive de l’individu se réorganise autour du complexe symbolique nouvellement intériorisé. Bien que ce processus puisse sembler définitif, comme s’il ne pouvait se produire qu’une seule fois, il n’en est rien. Les structures neuronales humaines ne sont pas faites de ciment ; elles sont relativement fluides. Comme la plupart des adeptes de la religion le savent d’expérience, la croyance croît et décroît, et doit être continuellement renforcée par des rituels si elle veut conserver un rôle significatif dans la formation de la cognition et du comportement individuels. Chaque fois qu’une personne assiste à un service religieux ou à un rassemblement politique, elle peut faire une nouvelle expérience de ce processus, en plongeant de plus en plus profondément dans les constellations symboliques de croyance du système religieux ou politique.

Les plus profondément transformateurs de tous les rituels sont les rites de passage initiatiques et les endoctrinements religieux. Ceux-ci brisent le système de croyance de l’initié, puis le reconstruisent autour des croyances et des valeurs du groupe – une expérience de conversion. Que l’individu soit converti à l’islam ou au christianisme, ou initié à l’armée ou à une fraternité, le processus rituel est très similaire.

Simplification cognitive Dans toute culture, les participants aux rituels diffèrent les uns des autres à la fois en termes de capacité intellectuelle et de structure cognitive. Les communications didactiques simples doivent tenir compte de ces différences si l’on veut que leurs messages soient compris. Mais le rituel doit fonctionner collectivement, pour les masses. Le rituel surmonte ce problème en s’efforçant de réduire ses participants, au moins temporairement, au même niveau cognitif, auquel ils verront tous le monde dans les limites d’une seule matrice cognitive. Un individu pensant à ce niveau aura tendance à voir le monde en termes de noir et blanc, interprétant les autres comme étant soit avec lui, soit contre lui (comme le font les fondamentalistes religieux, par exemple). Cette façon de penser ne permet pas d’envisager des options ou des points de vue alternatifs. L’avantage de cette réduction des participants aux rituels à une pensée univariée est qu’une seule structure rituelle suffit désormais à communiquer les normes et valeurs sociales à une grande variété d’individus. Ce processus est le plus clairement visible dans l’exécution de rituels religieux tels que la messe catholique, qui peuvent être profondément et également convaincants pour des individus de tous niveaux de complexité cognitive, ou dans les rassemblements politiques de régimes totalitaires tels que l’Allemagne nazie. Une telle simplification cognitive doit précéder la réorganisation conceptuelle qui accompagne la véritable transformation psychologique. La technique la plus couramment employée dans le rituel pour parvenir à cette fin est le bombardement rythmiquement répétitif des participants avec les messages symboliques du rituel.

L’ordre et la précision du rituel, combinés à sa nature répétitive, peuvent être très efficaces pour habituer les individus à faire les choses d’une seule façon. Des médecins ont décrit comment leur processus d’apprentissage a été canalisé dans une  » rive étroite  » dans laquelle l’eau ne peut couler que dans un sens ; l’un d’eux a dit :  » Vous le faites, et vous le faites, et vous le faites encore  » (Davis-Floyd et St. John 1998, p. 54). L’accoutumance à cette seule façon peut être efficace ; elle peut aussi empêcher l’ouverture à de nouvelles et peut-être meilleures façons de faire.

Stabilisation cognitive Lorsque les humains sont soumis à des extrêmes de stress, ils sont susceptibles, au moins temporairement, de rétrograder cognitivement dans un état dysfonctionnel dans lequel ils deviennent paniqués, déraisonnables ou simplement déconnectés de la réalité. Chaque fois que le danger d’une telle régression est présent, le rituel joue un rôle critique, car il stabilise les individus sous stress en leur donnant une poignée conceptuelle pour les empêcher de la perdre. Lorsque l’avion commence à vaciller, même ceux qui ne vont pas à l’église sont susceptibles de prier ! Le simple fait de répéter en rythme « Cher Seigneur, s’il vous plaît, sauvez-nous » peut permettre aux passagers terrifiés d’éviter le comportement de panique qui pourrait augmenter la probabilité d’un désastre.

Le rituel se dresse comme une barrière entre la cognition et le chaos en faisant en sorte que la réalité semble correspondre aux catégories cognitives acceptées – c’est-à-dire en donnant au monde l’apparence qu’il devrait avoir. En d’autres termes, accomplir un rituel face au chaos revient à rétablir l’ordre conceptuel. Même un petit semblant d’ordre peut permettre aux individus de fonctionner dans les conditions les plus chaotiques. La victime d’un tremblement de terre balaie les marches de son perron alors que toute la maison est en ruines autour d’elle. Ce comportement n’est pas aussi irrationnel qu’il n’y paraît à première vue. Ces marches représentent une catégorie cognitive ordonnée, et pour la maîtresse de maison, les nettoyer revient à s’ancrer dans un petit morceau de connu et de familier. À partir de cet ancrage cognitif, elle peut alors commencer à faire face, petit à petit, au chaos environnant.

Réaliser une série de rituels, c’est chercher à induire un résultat particulier, souvent impliqué dans la création d’un sentiment de sécurité en présence d’un danger. Le pêcheur en mer trobriandais qui fait des offrandes élaborées et des incantations dans un ordre précis avant de s’embarquer dans des eaux périlleuses croit que, s’il fait sa part correctement, les dieux de la mer doivent aussi faire la leur pour le ramener sain et sauf. Pour les mêmes raisons, le batteur tourne sa casquette à l’envers et s’accroche à sa patte de lapin avant de monter sur le marbre. Et le mineur d’étain bolivien, avant de descendre dans les mines chaudes et dangereuses qu’il considère comme le territoire du diable, fait une offrande de bonbons ou de tabac au diable pour que celui-ci soit obligé de lui rendre la pareille en le protégeant. Dans de tels cas, les rituels procurent un sentiment de contrôle qui donne aux individus le courage d’agir face au défi et au caprice de la nature. Mais le caractère inévitable du rituel peut être une arme à double tranchant : Les rituels ne fonctionnent pas toujours, et le sentiment de confiance qu’ils génèrent peut être faux. Néanmoins, ce sentiment de confiance facilite l’action face à la peur.

Les rituels – qu’il s’agisse de la prière, de mettre soigneusement la table ou d’allumer des bougies pour des proches en danger – fournissent à leurs participants de nombreux ancrages cognitifs de ce type. Le rituel a donc une valeur évolutive élevée ; c’était une technique adaptative puissante que nos ancêtres hominidés ont très probablement utilisée pour les aider à continuer à fonctionner à un niveau de survie chaque fois qu’ils étaient confrontés à des conditions de stress environnemental ou social. Les groupes qui croient ensemble peuvent agir ensemble pour faire face aux crises et aux dangers et les surmonter. Lorsque la croyance n’est pas partagée, l’action commune est beaucoup plus difficile à réaliser. Même les armées en guerre s’appuient souvent sur un certain nombre de croyances, de symboles et de rituels partagés – la Croix-Rouge ou le Croissant-Rouge des installations médicales, le drapeau blanc de la trêve, le processus de reddition officielle. Ce sont des rituels de stabilisation qui peuvent fonctionner même face au chaos de la guerre.

Préserver le statu quo Par la mise en œuvre explicite du système de croyances d’une culture, le rituel fonctionne à la fois pour préserver et pour transmettre ce système de croyances, et devient ainsi une force importante dans la préservation du statu quo dans toute société. Ainsi, on constate généralement que les personnes au pouvoir dans un groupe social donné s’efforcent de garder le contrôle sur les représentations rituelles. Ils utilisent l’énorme pouvoir du rituel pour renforcer à la fois leur propre importance et l’importance du système de croyances et de valeurs qui les maintient dans leur position.

Effectuer un changement social Paradoxalement, le rituel, avec toute son insistance sur la continuité et l’ordre, peut être un facteur important non seulement de transformation individuelle mais aussi de changement social. Les nouveaux systèmes de croyances et de valeurs se propagent plus efficacement par le biais de nouveaux rituels conçus pour les mettre en œuvre et les transmettre. Même si un rituel est exécuté pour la toute première fois, ses similitudes stylistiques avec d’autres rituels lui confèrent un caractère traditionnel, donnant ainsi à des systèmes de croyances entièrement nouveaux le sentiment et la saveur d’être fortement ancrés et sanctionnés par des pratiques anciennes. De plus, les systèmes de croyances et de valeurs bien ancrés sont plus efficacement modifiés par des changements dans les rituels qui les mettent en œuvre. En effet, le rituel représente l’un des plus grands potentiels de la société pour le type de revitalisation qui provient de la croissance interne et du changement en réponse aux circonstances changeantes.

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Robbie Davis-Floyd

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