Mémoire déclarative

La mémoire est le ou les processus par lesquels le cerveau nous permet de représenter l’expérience et permet à l’expérience de nous façonner. Cependant, plutôt qu’une capacité unitaire soutenue par un seul ensemble de processus, il existe différentes formes de mémoire, soutenues par des systèmes de mémoire multiples, fonctionnellement et anatomiquement distincts. La forme de mémoire dont nous semblons dépendre le plus dans les activités de la vie quotidienne et sur laquelle nous pouvons le plus facilement réfléchir est la mémoire déclarative.

Mémoire déclarative et procédurale

Il existe diverses taxonomies proposées de la mémoire, chacune offrant un compte rendu différent des divisions entre les systèmes de mémoire du cerveau. La plupart de ces comptes distinguent la mémoire déclarative et la mémoire procédurale (Cohen et Squire, 1980 ; Cohen, 1984). La mémoire déclarative permet d’accumuler, de stocker et de récupérer à la demande de nouvelles données sur des faits et des événements – l’information que nous tirons de nos expériences par le biais de nos représentations. En revanche, la mémoire procédurale permet de façonner les répertoires comportementaux acquis par l’expérience. La mémoire déclarative se distingue de la mémoire procédurale en étant un système de mémoire relationnelle.

La nature de la mémoire déclarative

La mémoire déclarative prend en charge les représentations des relations entre les éléments constitutifs d’une expérience. Elle prend également en charge les représentations des relations entre les divers événements, fournissant le registre plus large de l’expérience d’une personne. Elle fournit les moyens essentiels pour représenter rapidement les événements, ces concordances arbitraires ou accidentelles de personnes, de lieux et de choses, et les relations spatiales, temporelles et interactionnelles entre eux.

En outre, la mémoire déclarative permet d’apprendre des associations arbitraires et non négligeables par l’expérience – par exemple, apprendre les noms associés aux visages des gens, ou leurs adresses et numéros de téléphone. La mémoire déclarative permet donc de représenter des relations au-delà de la province des événements, englobant les relations entre les faits qui constituent notre connaissance du monde. Ce point conduit à une autre distinction critique : entre la mémoire épisodique, qui contient des enregistrements autobiographiques d’événements vécus personnellement, et la mémoire sémantique, qui consiste en une connaissance du monde stockée en dehors des contextes personnels (Tulving, 1972). En tant que fondamentalement relationnelles, capturant les relations entre de nombreux éléments de connaissance différents, la mémoire épisodique et la mémoire sémantique sont toutes deux soutenues par le système de mémoire déclarative.

Une deuxième propriété critique de la mémoire déclarative est la flexibilité représentationnelle (Cohen, 1984 ; Cohen et Eichenbaum, 1993). Les mémoires déclaratives peuvent être activées par toutes sortes d’entrées sensorielles externes ou même purement internes, quel que soit le contexte actuel. Et ils peuvent être accessibles par un nombre illimité de processeurs cérébraux différents, et pas seulement par ceux impliqués dans l’acquisition initiale des souvenirs. Une fois qu’on y a accédé, on peut les manipuler et les utiliser de manière flexible pour guider les performances dans un large éventail de conditions de test, y compris celles qui diffèrent considérablement des circonstances de l’apprentissage initial. De cette manière, la mémoire déclarative sert de base de données relationnelle sur laquelle repose une grande partie du traitement cognitif et des performances comportementales. Parmi les systèmes cérébraux qui accèdent à la base de données de la mémoire déclarative et la manipulent, on trouve les systèmes du lobe frontal qui soutiennent les processus à médiation cognitive et conscients, y compris l’introspection consciente et les rapports verbaux du contenu de ses souvenirs.

Déficit de la mémoire déclarative dans l’amnésie

L’amnésie est un trouble de la mémoire dévastateur consécutif à une lésion du système hippocampique. Les patients atteints d’amnésie hippocampique présentent généralement une combinaison d’amnésie antérograde, un trouble de l’acquisition de nouveaux souvenirs, et d’amnésie rétrograde, une perte des souvenirs précédant le traumatisme. Les déficits semblent confinés au domaine de la mémoire déclarative (Cohen et Squire, 1980 ; Cohen, 1984 ; Ryan, Althoff, Whitlow et Cohen, 2000). Ainsi, les patients amnésiques présentent une déficience marquée dans les tâches ou les situations où la performance dépend de l’apprentissage des relations entre les éléments, en particulier les éléments associés seulement de façon arbitraire ou accidentelle. Par exemple, ces patients ont de grandes difficultés à se souvenir des événements de la vie quotidienne. Le patient amnésique H.M., qui a été étudié cinquante ans, depuis qu’il a subi une résection chirurgicale des structures du lobe temporal médian (Scoville et Milner, 1957 ; Corkin, 1984), présente une déficience marquée dans divers tests de mémoire des événements publics survenus après le début de l’amnésie et peut à peine se souvenir d’événements personnels depuis l’époque de son opération (Sagar, Cohen, Corkin et Growdon, 1985).

Les tests formels en laboratoire confirment le déficit de la mémoire des relations. L’apprentissage par paires d’associations est particulièrement utile pour diagnostiquer l’amnésie ; dans cette procédure, où l’on doit apprendre un ensemble de mots arbitrairement appariés, les patients amnésiques montrent une déficience sévère, comme dans la plupart des tâches de mémoire de rappel ou de reconnaissance basées sur des listes, dans lesquelles on leur demande de mémoriser un ensemble de mots, de visages ou d’objets visuels communs présentés dans une liste d’étude, puis de rapporter (dans les tests de rappel) ou de juger (dans les tests de reconnaissance) quels éléments figuraient sur cette liste d’étude particulière. Parce que ces stimuli communs sont familiers du fait de l’expérience antérieure de toute une vie, le souvenir d’éléments d’étude spécifiques nécessite de relier leur identité à cette liste d’étude ou à cette expérience d’apprentissage particulière, faisant ainsi appel à la mémoire déclarative.

Les patients amnésiques sont généralement altérés lors des tests explicites ou directs de mémoire (Graf et Schacter, 1985 ; Schacter, 1987 ; Richardson-Klavehn et Bjork, 1988), dans lesquels la performance dépend de l’utilisation de l’élément de test pour permettre le souvenir conscient d’une certaine expérience d’apprentissage antérieure spécifique, puis l’inspection du contenu. Pour réussir, il faut se souvenir de la relation entre les éléments à tester et la liste ou l’expérience d’étude.

Le déficit d’amnésie est évident dans toutes sortes de relations, qu’elles soient verbales ou non verbales, spatiales ou non spatiales, ou épisodiques ou sémantiques. En ce qui concerne cette dernière, l’amnésie hippocampique affecte typiquement les événements tant personnels que publics (Sagar, Cohen, Corkin et Growdon, 1985 ; Zola-Morgan, Cohen et Squire, 1984) ; elle inclut non seulement les connaissances autobiographiques mais aussi celles du monde. Un exemple est le profond déficit montré par le patient H.M. dans l’apprentissage du nouveau vocabulaire (relations mot-définition) qui est entré dans la langue depuis le début de son amnésie (Gabrieli, Cohen, et Corkin, 1988).

Malgré une altération profonde et envahissante de la mémoire, les patients amnésiques montrent des capacités d’apprentissage et de mémoire préservées impressionnantes. Ces patients peuvent apprendre des compétences motrices, perceptives et cognitives même s’ils sont incapables de se souvenir des expériences au cours desquelles ils ont acquis ces compétences. Par exemple, des patients amnésiques ont pu apprendre à lire un texte inversé dans un miroir au cours d’une formation de plusieurs jours ; ils ont conservé cette compétence trois mois plus tard malgré une déficience marquée dans le souvenir des expériences de formation ou la reconnaissance des mots sur lesquels ils ont été formés (Cohen et Squire, 1980). La mémoire préservée est caractéristique d’une performance qui peut être basée sur l’accord des compétences dans des domaines particuliers, construite d’améliorations incrémentales de la performance avec chaque exposition, et exprimée dans une répétition de la situation d’apprentissage originale – une performance réussie dans ce cas ne nécessite pas les représentations flexibles et relationnelles de la mémoire déclarative (Cohen, 1984 ; Schacter, 1987 ; Gabrieli, 1998 ; Eichenbaum et Cohen, 2001).

Mémoire déclarative et conscience

La mémoire déclarative est critique pour l’introspection consciente et la remémoration consciente. Mais ce système n’intervient pas dans un aspect particulier du traitement conscient ; il fournit plutôt l’accès flexible aux informations sur les relations entre les personnes, les lieux, les objets et les actions – la base de données relationnelle – qui sous-tend la remémoration consciente et les rapports introspectifs. Ce point de vue explique les déficits amnésiques de la mémoire des relations, même si celles-ci n’entrent pas dans la conscience des sujets normaux (Ryan, Althoff, Whitlow et Cohen, 2000 ; Chun et Phelps, 1999). Elle souligne également les affinités entre les modèles humains et animaux d’amnésie. L’amnésie hippocampique chez les rongeurs et les primates non humains produit la même dissociation des capacités de mémoire que celle qui caractérise l’amnésie humaine. Ces animaux présentent des déficiences dans l’apprentissage et la mémorisation des relations spatiales entre les indices environnementaux, des configurations de multiples indices perceptivement indépendants, des relations contextuelles ou conditionnelles, et des comparaisons entre des événements temporellement discontinus – tous ces éléments nécessitant une forme relationnelle de mémoire. Pourtant, les mêmes animaux peuvent montrer un apprentissage et une mémorisation normaux d’une grande variété de tâches de conditionnement, de discrimination et d’habileté, dont aucune ne nécessite une forme relationnelle de mémoire, mais plutôt seulement des changements graduels et incrémentaux dans le biais ou la réactivité à des éléments individuels avec une exposition répétée.

Mécanismes cérébraux de la mémoire déclarative

Le rôle critique du système hippocampique dans la mémoire déclarative est évident dans la phénoménologie de l’amnésie. Des études neurophysiologiques et de neuroimagerie du système hippocampique démontrent également son association avec la mémoire des relations. Les neurones de l’hippocampe encodent diverses relations entre les éléments significatifs d’une expérience, en se déclenchant préférentiellement pour des conjonctions particulières d’éléments dans des études sur des rongeurs au comportement libre (Wood, Dudchenko et Eichenbaum, 1999 ; Eichenbaum et al., 2000). Dans des études de neuroimagerie fonctionnelle sur des humains, l’activation du système hippocampique survient chaque fois que la tâche engage la mémoire des relations entre les éléments (Henke, Buck, Weber et Wieser, 1997 ; Cohen et al., 1999).

L’amnésie indique que le système hippocampique doit interagir avec d’autres systèmes cérébraux pour effectuer la mémoire déclarative. L’amnésie rétrograde en cas d’amnésie hippocampique peut s’étendre en arrière sur des durées variables, mais elle n’est jamais totale ; le stockage de la mémoire à long terme n’est jamais complètement perdu. Par conséquent, le système hippocampique ne peut pas être le dépôt, ou le site de stockage permanent, de toute la mémoire à long terme. Au contraire, les connexions réciproques du système hippocampique avec tous les processeurs corticaux d’ordre supérieur lui permettent d’assurer le stockage en interaction avec les sites néocorticaux. Après que les divers processeurs corticaux aient identifié les éléments constitutifs de l’événement ou de l’expérience, le système hippocampique lie les multiples éléments dans des représentations de mémoire déclarative à long terme qui capturent les relations entre les éléments, les éléments ou attributs individuels étant représentés de manière distribuée dans les processeurs corticaux pertinents. Ainsi, l’interaction du système hippocampique avec les processeurs et les sites de stockage néocorticaux sert de médiateur à la liaison de la mémoire relationnelle qui permet la formation de la mémoire déclarative. De telles mémoires sont ensuite accessibles de manière flexible à divers processeurs corticaux pour soutenir le traitement cognitif et la performance comportementale.

Voir aussi : AMNÉSIE, FONCTIONNELLE ; AMNÉSIE, INFANTILE ; AMNÉSIE, ORGANIQUE ; AMNÉSIE, GLOBALE TRANSITIONNELLE ; MÉMOIRE ÉPISODIQUE ; GUIDE DE L’ANATOMIE DU CERVEAU ; MÉMOIRE SEMANTIQUE : ASPECTS COGNITIFS ; MEMOIRE SEMANTIQUE : PERSPECTIVE NEUROBIOLOGIQUE

Bibliographie

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Neal J. Cohen

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